Les Rocambolesques
roman-feuilleton collectif arborescent à contraintes
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Dans cette histoire je suis le personnage principal. Le héros, dit-on. Les étapes se déroulent, je suis fait prisonnier, je m’échappe de cette prison, toujours de la même prison. Encore et toujours, je m’échappe. On m’attrape, je m’échappe, on m’attrape, je m’échappe… Une fois de plus, je m’arrête pour boire une bière que m’offre ce pêcheur. Une fois de plus, j’attends à l’ombre de cet arbre sur cette route qui sépare ce champ.
L’inconnu tombe dans le livre, il parle au pêcheur. Il regarde derrière lui, dans ma direction et le salue. Je sais ce qu’il va me demander mais je n’ai pas vu son stupide Corbeau. L’histoire est toujours la même. J’attends sous cet arbre l’arrivée d’un inconnu, un inconnu qui cherche le Corbeau. Mais pour la première fois je vais essayer autre chose. Nous n’allons pas nous rencontrer. Je ne vais pas courir après un Corbeau qu’on ne trouve jamais. L’histoire évolue toujours dans le même sens et je ne peux rien y faire. Si je rencontre cet homme l’histoire va se répéter, encore. C’en est assez. Je pars.
Je décide de prendre le chemin sur ma droite qui coupe à travers champ. Le chemin me permet une fuite facile, dissimulée par les grandes pousses de blé aux épis dorés. Je cours, j’accélère, je lui échappe. Mais quelque chose me pousse, me force à prendre la même direction que toutes les autres fois. Je n’y retournerai pas ! J’avance d’un pas plus déterminé et lutte contre cette chose. Je suis poussé comme par de violentes rafales de vent qui semblent ne toucher que moi. Je me courbe comme pour foncer tête baissée et traverser cette force qui me fait face. Je continue le chemin que je me suis tracé au milieu des blés. Je suis maintenant comme tiré. L’histoire semble vouloir me remettre sous cet arbre. Me ramener là où je dois être. Je cours, j’accélère encore, j’affronte l’histoire sans fin pour la fuir. Le champ s’arrête brusquement sur un autre chemin.
C’est un chemin de terre qui longe le champ. Je prends le chemin et le suis, essoufflé par ma course. Des arbres à intervalle régulier bordent le chemin à présent. Il fait bon s’y promener et leurs ombres dessinent des endroits de fraîcheur. Leurs troncs courbés forment comme un toit au dessus de ma tête. Je marche, paisible, et ne pense plus à ma fuite, plus rien n’essaie de me retenir. Libre, je profite de cet endroit calme et isolé. Je ne suis jamais passé par là. Les arbres se font de plus en plus rares et laissent place à de petits buissons touffus en fleur. De magnifiques fleurs blanches. Le chemin de sable devient un chemin de pierres et le chemin de pierres est maintenant un pont. Je monte sur le pont, lui aussi en pierres, qui s’élève par dessus dn fleuve vert aux reflets argents. Rien à voir avec les paysages auxquels je suis habitué dans ce livre. Je poursuis ma route sur la plaine où passe une voie de chemin de fer et là, au milieu de nulle part, dans ce rien, apparaît une grande maison, comme sortant de terre. Elle est blanche avec de grandes fenêtres et une toiture sombre. Le soleil se couche et colore une partie de cette demeure d’orange et de rouge. Là encore, le jeu des ombres donne une atmosphère chaleureuse. Cette fin de journée n’est vraiment pas communes aux autres.
A la porte une femme me fait signe. Elle est grande et porte un chapeau jaune qui dissimule une partie de son visage. Elle m’appelle, me fait signe de venir et m’invite à entrer. Sur le pas de la porte je suis perplexe. Qui est-elle et pourquoi m’inviter à entrer ?
Elle a l’air inoffensif et insiste pour que j’entre. J’obéis. Après tout, il ne va rien m’arriver. Je pénètre dans l’entrée de cette grande maison, elle est disposée comme un palier, elle dessert plusieurs portes. Elles sont presque toutes ouvertes. Je passe ma tête par l’une d’entre elles et je découvre un grand salon aux canapés colorés et aux murs remplis de livres. Au fond de cette pièce lumineuse j’aperçois le Corbeau. Il lit près de la fenêtre.
Marion Chevillard
(L1, Lettres Modernes, UPEM)
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Mis en ligne le 23 novembre 2016