Les Rocambolesques
roman-feuilleton collectif arborescent à contraintes
Malheureusement il était trop tard. Je ne la voyais presque plus avec tout ce brouillard qui m’étouffait et m’empêchait de voir distinctement la barque dans laquelle Marie était prisonnière. Une haine contre ce corbeau, ce malfaiteur, cet être abominable, s’emparait de moi. Je craignais le sort qu’il lui réservait et je ne pouvais plus attendre. Un peu plus bas, sur le rivage, j’aperçus un pêcheur en train de vider ses poissons dans une caisse. Son bateau dont il avait laissé les clés sur le contact, se trouvait à quelques mètres de lui. Sans réfléchir, je m’élançai pour me l’approprier. J’enclenchai le moteur et partai à leur recherche sans perdre de temps. Plus loin, j’entrevoyai la barque dans laquelle le corbeau avait enlevé Marie. Je m’en approchai et décidai de m’y aventurer. Partout, je découvrai du sang, des gouttes, des taches, éparpillées, étalées, qui semblaient avoir envahi l’embarcation. Un sentiment de peur et d’angoisse me donna des frissons ; je restais là, sans bouger, un long moment. Je me demandais si j’étais dans un rêve ou dans la réalité et, naïvement, je me pinçai, en vain. J’étais bien dans le monde réel, sur une barque recouverte de sang, peut-être celui de Marie. Que devais-je faire à cet instant ?
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Je reprenai mon souffle, décidai de repartir à sa recherche. J’en avais presque l’obligation : ayant été témoin de cet enlèvement, c’était mon devoir. Je ne la connaissais que depuis quelques heures seulement mais je ne pouvais pas l’abandonner. Malgré mon effroi et ma panique il fallait que je la sauve. En ressortant de cette sordide barque ensanglantée, je me rendai compte que Marie et son malfaiteur avaient accosté dans un endroit désert. Je demandais : « Il y a quelqu’un ? » mais la seule chose que j’entendais et qui me répondait était le retentissement de ma voix en écho. J’appelai « Marie ! Tu m’entends ? » et la même chose se reproduisait. J’étais tellement terrorisé que je ne pouvais pas bouger. Je restais près d’un arbre qui se trouvait sur la rive, à côté de la barque. Je m’agenouillai et mettai ma tête dans mes bras en essayant de trouver une solution à tout cela. C’était un cauchemar. Dans quoi m’étais-je engagé ?
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Mais je ne pouvais plus faire marche arrière. Je me relevai d’un pas décidé et me mis à marcher droit devant moi. Tout à coup, je tombai sur des sortes de rails, et le brouillard s’estompant, je compris : il s’agissait bien de rails, tournés dans tous les sens, qui semblaient réaliser un parcours. Derrière, immobile, se trouvait une grande roue, avec ses sièges qui pendaient tout autour. Tout était recouvert de feuillages, de branches, qui s’entremêlaient, s’ancraient dans la ferraille agonisante. C’était une fête foraine, une fête foraine abandonnée. Plus rien ne bougeait, plus rien ne se manifestait dans cet endroit lugubre où seuls le bruit des feuilles mortes emportées par le vent et celui d’un vieux tourniquet rouillé se faisaient entendre. Des arbustes avaient poussé au milieu des attractions, seuls êtres vivants dans ce lieu désert. J’essayais d’aller plus loin que ces deux pauvres « manèges » abandonnés, me frayant un chemin à travers l’enchevêtrement de ces branchages et de ces ferrailles. Les branches m’agrippaient, et l’épais tapis que formaient les feuilles mortes sur le bitume usagé rendaient mon avancée pénible. J’avais l’impression d’être pris dans un piège ou dans un marécage qui ne voulait pas me laisser m’en échapper. Je m’efforçais d’appeler Marie plusieurs fois encore, mais chacun de mes pas faisait craquer les feuilles mortes et ce bruit assourdissant m’empêchait d’entendre la moindre réponse, s’il y en avait une.
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Pour essayer de distinguer un son, une voix, qui tenterait de me répondre, je m’arrêtai et essayai de calmer mon souffle, devenu précipité. Reprenant peu à peu mes esprits, ma respiration ralentit et je pus enfin concentrer mon attention sur d’éventuels bruits autour de moi. C’est à ce moment-là qu’une voix, un murmure retentit. J’interrogeai : « Qui est là ? » Le murmure reprit. Mais je ne distinguais pas ce qu’on me disait et, surtout, je ne voyais rien qui puisse me chuchoter ainsi à l’oreille. Pourtant, quelqu’un ou quelque chose était bien là? à quelques centimètres de moi. Soudain, au milieu des murmures incessants que l’on essayait de me faire parvenir, des mots, plus nets, se détachèrent. Ceux-ci répétaient : « Suis-nous, Marie est par là, dans le sous-sol de la foire ».
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Chloé Carrel
(L1, Lettres Modernes, UPEM)
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Mis en ligne le 23 novembre 2016
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