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« Qu'avez-vous fait »

Répète le corbeau d'une voix sinistre. Une fois, deux fois, mille fois, les chapeaux oubliés, l'étrangère me regarde l'air effrayée.

« Qu'est ce qui est en train de se passer ?! »

Sa voix semble étrange, sa phrase bancale, le corbeau ricane.

« Votre faute, tout est de votre faute, petit charançon dévorant mon nichoir, je vous croquerai, je vous croquerai ! »

Une porte s'ouvre sur le côté, je veux m'enfuir, mais reste figé.

« Mais qu'est-ce que tu fous ?! »

L'étrangère m'attrape le bras et m'entraîne, sa voix tremble et résonne comme un cri, mais je l'entends peu. Elle m'entraîne vers la porte, la lumière m'aveugle, je ne me souviens pas du tout de la lumière.

Je secoue la tête un moment puis grince;

« Désolé, mais le sentimentalisme est une partie importante de ma personnalité ! Et qu'est-ce que c'est que ce langage ? Vous me tutoyez ? »

« J'estime que si je sauve la vie d'un gus, même s'il voit pas les couleurs je peux bien parler comme je veux ! »

« Mais et l'anachronisme? »

« Je sais pas pour toi monsieur le sentimentaliste mais d'où je viens les corbeaux bouffeur de gens aux boutiques qui disparaissent, c'est pas vraiment dans l'air du temps »

« Mais il pouvait pas nous bouffer il a pas de dents »

Le regard qu'elle me lance me rappelle ma professeur de collège, elle aussi avait perdue tout espoir de se faire comprendre.

« Quenotte ou pas quenotte, s'il te croque t'est dans la crotte »

Je la regarde sans un mot espérant des éclaircissements. Elle soupire.

« J'essayais de me mettre à ton niveau, apparemment ça marche pas, je vais faire plus simple »

Elle prend une grande inspiration et énonce lentement, comme à un enfant ;

« Corbeau dangereux, moi sauver toi, toi compris ? »

Je hoche la tête vivement, mes joues brûlent et ce coup-ci, pas de gifle, je n'ai jamais été aussi humilié. Elle semble satisfaite, et franchement arrogante, je ne l'aime pas beaucoup en ce moment, mais quand on a un... truc à ses trousses qui semble avoir une forte envie de rejouer le supplice de Prométhée avec soi-même en rôle principal, l'affection provoquée ou non par les compagnons d'infortune, et sauveur, n'est probablement pas importante, probablement, ce n’est pas vraiment comme si j'avais un bon moyen de comparaison après tout c'est franchement...

 

« Bizarre »

Elle me coupe et finit ma pensée, je la regarde éberlué elle répond avec humeur.

 

« Tu sais que je t'entends ? tu parles à voix haute depuis tout à l'heure, c'est un peu chiant. 

-Mais, c'est n'importe quoi ?! j'ai jamais fait ça ! 

-Ouais ouais, c'est ça, et depuis tout à l'heure ce qui commente tout c'est le vent ?

-Mais je n'entends aucun commentaire !

-Normal, c'est toi qui les fait ! et arrête de commencer tes phrase avec 'mais' tout le temps, c'est chiant !

-Mais je ....

-Voilà ! tu le refais, ça suffit maintenant ! Tu arrêtes les ‘mais’, tu arrêtes de parler pour toi même comme une andouille et voilà ça ira !

-TRES bien si madame est sûre de la qualité de cette idée on va faire ça.

-Bien, marchons.

 

-Hé !

-Quoi ?

-On se fait un peu chier en fait…

-Oui ça fait un peu vide tout à coup.

-Ouais un peu, ça fait un peu fainéant, et puis à écrire ça va être la mort de la joie.

-Un peu... Pourquoi 'à écrire' ?

-Oooh tu sues à grosses gouttes c'est mignon ! T'en as parlé tout à l'heure.

-Bien sûr que non !

-Que si.

-Que non.

-Que si.

-Que Non !

-Bon on va arrêter, je crois qu'on a réussi à ressusciter puis à rassassiner la joie.

-Cette expression est ridicule.

-Allez, avoue que là, c'est vraiment les oubliettes du fun.

-Je désapprouve cet anglicisme forcé et malvenu.

-C'est juste que t'est un has been avec des problèmes de vue. 

-Il n'y avait aucun chapeau donc tout reste à prouver.

-T'es chiant. »

...

« Allez reprends ta narration, on sait à peine qui parle, là. »

Merci.

« Mais de rien, par contre on peut avancer, ça traîne là. »

Où en étions nous déjà ?

« Ben, on est en train de marcher, y'a du rien au sol, du rien au mur, et un corbeau édenté et acariâtre qui veut nous ajouter à son menu »

Bien, bien. Donc, Nous sommes dans un long couloir, qui surplombe le néant le plus absolu, celui-ci est visible grâce au sol transparent probablement en verre et aillant demandé beaucoup de sable pour être construit, ce sable venait probablement d'une étendue sablonneuse quelconque ou nommée, pourvue ou non de dune, et de touffes aléatoires de végétation, ce sable..

« Alors là je te coupe tout de suite, on s'en balance du sable, genre, on s'en tourbillonne l'oreille avec un homard. »

Ce sable disais-je, était probablement de qualité moindre afin de permettre un achat extensif permettant la fonte d'une telle surface de verre.

« On s'en tamponne le nez avec des tongs je te dis ! »

 

Une telle surface de verre qui n'est pas totalement dépourvue de défauts puisqu'il y a quelque pas nous sommes passés au-dessus d'une grande conglomération de pierres probablement piégées durant la fonte…

« Mais Puisque je te dit qu'on s'en transbahute les mouette avec des cacahuètes ?! »

…durant la fonte qui semble avoir pris place sur place et sans qu'un seul grain ne s'échappe, formant donc ce sol glissant et translucide qui nous sépare désormais d'une épaisse couche de magma reposant au fond de la…

« COMMENT CA DU MAGMA ?! »

Ma camarade baisse soudainement le regard, affolée, ses pupilles se dilatent alors qu’elle remarque la véracité de ces propos.

« Nom d'un chien, du magma. »

Ma camarade se répète, et s'arrête en plein milieu du chemin, invitant probablement notre poursuivant à un buffet de tripes et ossements gratuit pour une durée limitée de…

« Non mais, y'a du magma »

Je crains à ce moment que ma brave sauveuse ne se soit perdue devant cette vue, avec grand peine je me décide à la laisser à son sort si peu désirable qu'est la subjugation magmatique liée à une forte envie de se faire désentripailler.

«  Pourquoi t'es aussi calme quand on a une fichue rivière de lave sous les pieds ?! »

Bizarrement, j'ai vu pire, ou je vais voir pire ? Ou je vois pire ?

« Oh la ferme ! Et c'est moi qui fais des phrases bancales. »

Oui. On reprend notre fuite, ô grande sauveuse magmophobe.

« Oui, Oui on reprend, j'entends presque ses sales ailes derrière nous.  »

Elle paraît plus confiante tout à coup, il ne reste plus rien de la jeune femme aux yeux hagards, à la bouche béante et à la bave dégoulinante dans cette femme, mon héroïne était réapparue. Altière et majestueuse, une amazone presque malgré les gestes grossiers dirigés à mon encontre, je n'aurais pu rêver meilleure compagne pour fuir un corvidé anthropophage.

« Si, un pantalon propre pour la prochaine confrontation. »

Les Amazones n'étaient heureusement pas connues pour leur délicatesse ou ma comparaison tombait à l'eau. Devant nous apparaît peu à peu une porte, sombre, grande, avec des gravures luminescentes et ésotérique serpentant la grande surface de pierre ; c'était là notre destination.

« Non »

Ce n'était pas là notre destination.

« Si on ouvre là on va tomber la tête la première dans un fleuve d'embrouilles en tous genres. »

Je soupire, les expressions à coucher dehors qui semblent caractériser le vocabulaire de ma comparse m'agace. Elle me rend mon air dédaigneux.

« Pourquoi je t'ai sauvé moi déjà ? »

 

Mon Héroïne, honorable, charitable, magnifique, se pince l'arrête du nez d'une main élégante. Elle souffle avec grâce à mes mots et me montre finalement une petite trappe lumineuse sur le mur, au ras du sol, pas plus petite qu'un conduit d'aération et me l'indique du doigt.

« C'est par là qu'on doit aller. »

C'était donc, enfin, notre destination. Mais pourquoi était-il là au fait ?

« Ben, on s'enfuit, et là on a plus le temps, je peux presque sentir la puanteur de sa sale haleine de charognard. »

Ma camarade semblait ignorer que les corbeaux, comme de nombreux autres corvidés, sont en réalité des prédateurs opportunistes et non de simples charognards.

« Ouais ben l'ornithologue il a faillis se faire becter, alors il se la ferme. »

Elle pointe encore une fois la trappe avant de s'accroupir et de commencer à s'enfoncer au travers.

« Je passe d'abord mais si tu regardes mon arrière-train je t'en mets une ! »

N'aillant de toute façon aucune envie de commettre ce genre de perversion pécheresse, j'acquiesce.

« Heureusement que tu narres tout ce qu'on fait car là je te vois pas ! »

Sa voix est bien trop guillerette pour une femme rampant dans la poussière et tentant d'échapper a un anthropophage.

« Ouais ouais, bon tu t'enfonces figurativement ou littéralement ? »

Je m'abaisse à mon tour et rejoins à tâtons ma comparse dans le tunnel.

« Au fait, en parlant de pécheur, t'as pas peur des mérous j'espère ? »

Bien que cela soit entièrement superflu du fait que je me trouve derrière elle je lui fait signe que non.

« Ouf tu me rassures. Des pêches non plus ? »

Je soupire sentant d'avance, la plaisanterie à propos d'une certaine marque de bière a la pêche au nom équivoque et accidentellement invoquée plus tôt.

« Comment t'as deviné que j'allais parler de la Pécheresse ?! »

Car je suis le narrateur.

« T'es surtout un type qui parle dans le vide. »

Et toi une horrible... Aaaaaaaaaaaaaaaah...

 

Je ne parlais peut-être pas dans le vide, mais c'est bien là que je me suis retrouvé. Tout autour flottent des cadrans d'horloge au style improbable et d'assez mauvais goût. Et un brouhaha singulier remplissait tous les interstices : pour le Vide, c'est assez peuplé. Et mal fréquenté, comme le prouve la chèvre qui vient de manquer d'avaler ma sacoche. La chute a dû être plus forte que prévue, ce qui n'était pas difficile puisque rien ne l'était, et m'a probablement plongé dans un état de rêverie cosmique, proche du coma.

J'étire mes jambes et cherche une accroche des yeux. Je ne trouve que la chèvre, broutant le feuillage d'un haut acacia.

Comment a-t-elle bien pu monter là-haut ?

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Wilhelmine Pariente

(L1, Lettres Modernes, UPEM)

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Mis en ligne le 30 novembre 2016

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