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L'homme pleurait le revolver à la main, sous la pleine lune et la brume. Ennuyé, je ne savais que faire ni quoi dire. Mon seau tomba à terre lorsque je reculais maladroitement, la truite glissa puis tomba à terre et je la voyais s'enfoncer dans la fange.

            - Est-il possible que tu reviennes un jour Barnabé, tu n'as pas le droit de me faire ça !

            - Tout va s'arranger, j'en suis certain.

Revolver à la main, toujours, il se redressa, un air de stupéfaction marquait ses traits fatigués.

            - Ô Seigneur, je remercie le Ciel, Barnabé, c'est bien toi !

Épris d'un élan nouveau et boiteux, il bousculait mes sacs et mes cannes à pêches, s'avançait vers moi et je reculais d'un pas. Son expression changea totalement, après la stupéfaction vint la colère lorsqu'il se rappela que Barnabé n'avait pas toujours été bon envers lui.

            - Tu n'es qu'un traitre ! Pourquoi tu m'as fait ça ! Loyauté et Fraternité, as-tu oublié ?! Unis par cette amitié que la guerre nous avait offert, tu as osé me trahir, nous trahir !

Sombre et d'une sévérité épouvantable, il était à des millénaires de soupçonner sa méprise. Étant donné qu'il me prenait pour un homme qu'il haïssait, me suffisait-il de lui dire que je n'étais pas Barnabé, je craignais sa réaction. Feignant ne pas me rendre compte du malentendu, je vis dans ses gestes, en lui, une colère trop grande dans sa folie pour qu'il puisse comprendre.

            - Figure-toi que mon œil droit voit toujours aussi bien qu'avant la guerre, Barnabé, ne nie plus qui tu es ou tu le regretteras furieusement. Revenons en aux faits, dit-il en pointant son revoler sur moi et j'eus très peur. Ai-je précisé que les traitres ne sont pas censés s'en sortir vivants, que c'est le règlement et que chacun d'entre nous se doit de respecter scrupuleusement chacune des maudites, absurdes, crapuleuses règles qu'il contient ?

            - Y aurait-il quelque chose que je puisse faire pour me faire pardonner de mon acte abominable ? Allons...

            - Ne t'ai-je pas dit, Barnabé, de ne pas jouer la comédie !? Traître, tu ne mérites que la mort !

Qu'il me tire dessus et me la donne, cette mort, m'indignait moins que la flagrante injustice dont j'étais victime et il ne pouvait pas ou ne voulait pas s'en rendre compte. Un simple malentendu était à l'origine de ma terrible condamnation. Erreur, méprise, confusion ou vengeance impossible qui le rendait parfaitement fou, je pensais qu'il savait, au fond, que je n'étais pas celui qu'il cherchait : je risquais d'y laisser la vie et  ne voyais aucun moyen de m'en sortir. L'homme semblait savourer un sentiment secret et silencieux et tandis que le temps s'allongeait entre moi et lui, je pouvais sentir chacun des frémissements de sa peau et de son âme, son cœur battre mollement dans sa poitrine enflammée et le fleuve, sous mes pieds, ruisselait et poursuivait son chemin tandis que j'étais perdu.

            - Enfin mon ami, ne sommes-nous pas amis ? C'est chose normale que de pardonner à un ami, accorde moi ton pardon au nom de notre amitié réconciliée, au nom de la fraternité qui nous a unis, toi tu en es capable plus que moi, minable comme je suis, tu m'...

            - Ôte les mots de la bouche, dit-il et son regard était plein de haine. Revenir sur notre amitié passée et révolue ne te servira à rien, pas plus que marchander ton sort. Beaucoup d'hommes furent lâches en ce temps, mais je n'en connus aucun qui le fut autant que toi. Estime-toi honoré de servir ma vengeance, Barnabé. Adieu Barnabé, termina-t-il simplement.

Un son terrible retentit, j'entendis les corbeaux croasser en s'envolant au-dessus du monde, sa vengeance accomplie, l'homme s'approcha de moi d'un pas fainéant, froide et amère la fange sur mon cadavre pétrifié m'ôtait les mots de la gorge, mon dernier souffle fut de lui dire que je n'étais pas Barnabé.

 

Manel

(L1, Lettres Modernes, UPEM)

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Mis en ligne le 30 novembre 2016

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