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Jacques Jouet, Agatha de Metz : Mek-Ouyes et les Messins (épilogue), Nancy, Absalon, 2013.

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Dans l'épilogue de ce volume de La République de Mek-Ouyes, le romancier-feuilletoniste écrit une lettre à son personnage principal, dans laquelle il lui explique les principes du genre.

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                 Cher Mek-Ouyes,

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                Le roman-feuilleton, historique ou non, mais tel que je le conçois, notamment en termes de « contrainte littéraire pragmatique » selon la formulation de Marcel Bénabou de l’Oulipo n’est tel, à mon avis, que s’il obéit à quatre principes :

                1) Prolifération. Le roman-feuilleton est le lieu romanesque de la multiplication irresponsable de personnages, de lieux, de temps, de situations… sans réserve ni précautions, sans aucune impossibilité, jamais. Les temps peuvent même se contredire, les lieux et les situations de même. Les personnages sont instables. Nécessité, peut-être, d’un personnage central qui soit ouvert, c’est-à-dire particulièrement disponible aux métamorphoses et aux multiplications de toutes sortes. Vous, Mek-Ouyes, par exemple. Agatha de Win’theuil aussi. Il en découle que toute forme de plan est inutile et non souhaitable.

                2) Infinitude. Le roman-feuilleton se fonde sur l’injonction « à suivre ». On ne peut pas y poser le mot fin. Le roman-feuilleton est toujours à suivre. Un personnage mort est toujours susceptible de l’avoir été par erreur. L’explicit du 32e et dernier volume-épisode de Fantômas est : « Le jour allait se lever… » Oui, vous avez bien lu, points de suspension ! C’est pourquoi j’ai désigné Ian Monk pour continuer La République de Mek-Ouyes après ma mort. À lui de désigner quelqu’un d’autre après la sienne. Si Ian Monk meurt avant moi, c’est Frédéric Forte qui devra s’y coller à sa place, lequel, etc. Je vous mettrai entre leurs mains, ce qui ne devrait pas vous inquiéter puisque Ian Monk a déjà écrit et publié La Jeunesse de Mek-Ouyes (Cambourakis, 2011) et que Frédéric Forte s’est immiscé dans Agatha de Mek-Ouyes.

                3) Périodicité de la lecture. Le roman-feuilleton est lu quotidiennement, ou heure par heure, ou semaine après semaine. Importance cardinale du rendez-vous de lecture. C’était le cas dans la presse d’Émile de Girardin, ce peut être le cas aujourd’hui grâce au Net.

                4) Périodicité de l’écriture. C’est tout aussi important. Il n’y a pas de roman-feuilleton, pour moi, en dehors de cette procédure d’écriture. Historiquement, il est très difficile de l’apprécier chez les auteurs dits romanciers-feuilletonistes, d’abord parce que ces questions de cuisine n’intéressent pas grand monde, ensuite parce que ce genre de réputation de tâcheron est extrêmement mal vue de la bourse littéraire (celle qui fixe les cours de la valeur). Les auteurs ne se vantent pas de leur productivité. C’est la raison pour laquelle je cherche des situations vérifiables d’écriture périodique de roman-feuilleton, type « Paris en toutes lettres, Tentative d’épuisement d’un auteur, Agatha de Paris » que j’ai fait grâce à la provocation généreuse d’Hervé Le Tellier que je ne saurais trop remercier pour cela. Je travaille en public, en temps réel, un épisode à l’heure, mon écran étant visible par le public éventuel. Cela a d’ailleurs fait des petits puisque j’ai fait encore « Paris-Beyrouth en toutes lettres, Agatha de Beyrouth » en compagnie de Zeina Abirached, qui illustrait, « Paris-Medellin en toutes lettres, Agatha de Medellin » en compagnie de Martha Pulido, qui traduisait en espagnol. Je termine aujourd’hui Mek-Ouyes et les Messins à Metz. L’écriture en flux tendu, type « poème de métro » fait essentiellement partie de l’enjeu du roman-feuilleton.

                Le roman-feuilleton peut toujours exister en livre, mais son grand soir restera toujours le moment de l’écriture et de la lecture périodiques.

                À bientôt donc, cher Mek-Ouyes, mes hommages à Agatha et à vous, un abrazo.

 

signé : le romancier-feuilletoniste

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