Les Rocambolesques
roman-feuilleton collectif arborescent à contraintes
Rocambole vient juste de pénétrer dans la cave secrète du Porte-jarretelles qui se trouve derrière la porte au bout du tunnel. Vers quatre heures du matin, l’endroit est relativement tranquille. Par-ci par-là, on peut encore observer quelques couples qui ont passé la nuit à goûter des vins en toute intimité. Rocambole attend patiemment Cuthy qui lui a demandé de la laisser seule pour enfiler le porte-jarretelles qu’il lui a prêté. Elle ouvre alors la porte pour retrouver Rocambole.
— Vous en avez mis du temps, dites donc !
— Vous m’excuserez, mais je suis tombée sur un charançon d’environ 15 cm de long que j’ai dû écraser.
— Allons, qu’est-ce que vous me racontez là ? Un charançon, ça mesure 2 ou 3 mm. J’en sais quelque chose, d’ailleurs, j’ai commencé un élevage quand j’avais 13 ans.
— Oui, et bien là il était énorme !
— Et c’est la femme qui assomme les gens à coups de cailloux qui me dit ça. Bon, allons en haut, mon contact m’attend.
Les deux personnages montent alors à l’étage, là où le patron du bar, un certain Waldo, les attend. Il arbore une veste de serveur recouvrant tout juste son porte-jarretelles personnel qu’il porte avec sentimentalisme depuis un certain temps. A part cela, il est simplement vêtu d’un slip, et d’une paire de bas accrochée à son porte-jarretelles.
— Rocambole ! Mon ami ! Ça fait quoi, 5 ans, que j’ai pas vu ta tronche ! Comment tu vas ?
— Salut, Waldo… J’ai été pas mal occupé récemment, surtout pour la gestion des droits d’adaptation de mes aventures en série télévisée. Et toi, comment va ton gosse ?
— Eh bien, le p’tit Wenceslas a fait pousser sa première quenotte, et j’ai une petite Brunhilde qu’est née y a 3 mois. Et c’est qui c’te fille qu’est avec toi ?
— On en parlera plus tard, sache juste que...
— Je suis Cuthy Burges, et sachez que je viens de sauver Rocambole d’un homme à tête de pélican, dit-elle pleine de fierté.
En entendant les mots “homme” et “pélican”, l‘expression de Waldo change du tout au tout : il semble maintenant plus soucieux et moins amical.
— Mmmhh… Madame Burges, évitez de parler trop fort de certains sujets dans ce bar…. Si vous voulez me suivre.
​
En entendant cela, Rocambole s’est rendu compte qu’il n’avait jamais demandé son nom à Cuthy. “Burges… j’ai déjà entendu ce nom quelque part”, songeait-il. Mais il y avait plus important à penser pour l’instant.
Waldo les emmène dans une allée mal éclairée où l’on a pris l’habitude de déposer les poubelles du bar.
— Alors c’est ça ! Tu reviens me voir après tout ce temps pour me mouiller dans tes combines sur l’homme pélican ! Tu sais que je risque gros si je te file des infos sur lui !
— Ok, ok, mais, promis, je te laisse tranquille après ça, Waldo.
— Rocambole, la dernière fois que je t’ai aidé, j’ai fait un an d’oubliettes ! Laisse-moi maintenant !
— Bon… mais tu me confirmes qu’il continue de passer le jeudi soir vers minuit dans ta cave à vin pour certaines “réunions”, n’est-ce pas ?
— Je sais même pas si je peux te répondre… En un claquement de doigts, ce type pourrait faire fermer mon établissement ! Je peux pas me permettre ça. Fais ce que tu veux, mais je dirai rien… Je risque trop gros.
— Allez ! Lâche-moi une info ! S’il te plaît !
— Bon… Je crois qu’il y a une réunion ce matin, avec quelques-uns de ses associés… Probablement des hommes de la mafia russe, avec qui il bosse. Ils arrivent bientôt, d’ailleurs.
— Merci Waldo. Je te revaudrais ça.
De rien… Tu m’excuses, mais j’dois transbahuter quelques bouteilles dans la cave.
Cuthy et Rocambole sont maintenant seuls dans l’allée.
— Allez-vous enfin m’expliquer ce qu’il se passe, ici ?
— Ecoutez, Cuthy… cet homme-pélican serait un caïd du crime, mais aussi l’identité secrète d’un célèbre PDG d’une grosse société. J’enquête sur cet homme depuis quinze ans, maintenant, et j’ai appris qu’il avait des connexions avec la mafia russe, et tout un réseau de contrebande organisée. J’avais à peine commencé à enquêter sur lui qu’on a retrouvé un de mes contacts de l’époque complètement désentripaillé dans une ruelle. J’étais jeune. J’ai rarement vu une telle sauvagerie.
— Quelle atrocité…. Mais alors qui était cet homme déguisé que j’ai frappé d’un coup de caillou ?
Lorsque je l’ai vu ce matin, je pensais qu’il s’agissait de lui. Mais c’était plus probablement un membre de son organisation.
— Rentrons. Il commence à faire froid, et je ne serais pas contre un verre.
— Vous avez raison. En plus… avec un peu de chance, nous pourrons apercevoir notre homme.
À peine Rocambole et Cuthy revenus dans le bar, l’ambiance n’est déjà plus la même. La musique s’est tue, ainsi que les quelques clients. La solennité du moment jure avec le décor extravagant du Porte-jarretelles. Se dirigeant vers la cave secrète, un groupe se fait remarquer : à leur tête, un homme à masque de pélican suivi de cinq hommes vêtus de vestes de costumes, sous lesquelles on peut apercevoir des porte-jarretelles qui tiennent leurs bas. Alors que ces six mystérieux hommes se dirigent vers la cave secrète du bar maintenant déserte, Waldo, groupie de Patrick Bruel, s’empresse de relancer le jukebox sur J’te l’dis quand même, pour mettre un peu d’animation dans son bar. La porte de la cave se referme. Rocambole décide d’y aller
— N’y va pas ! C’est du suicide ! Si ces types-là te voient, t’en ressortiras pas, lui lance Waldo.
Rocambole ne l’écoute pas et entrouvre discrètement la porte. Cette fois-ci, Cuthy n’est plus sûre de le suivre. Elle ne sait maintenant plus où elle en est. Elle était sortie simplement pour une soirée avec Perrie, mais la voilà accompagnant en porte-jarretelles un des héros qui ont fait son enfance. Elle décide alors de rester un petit quart d’heure au Porte-jarretelles, le temps d’un ou deux verres, et de rentrer chez elle. Après tout, cette affaire ne concerne que Rocambole : Cuthy préfère rester en dehors de tout ça. Sur le chemin du retour, elle passe près de la zone industrielle, là où sa soirée s’est terminée. Elle s’arrête. Au loin un homme, à terre, crachant du sang. Ses réflexes de médecin l’incite à s’approcher. Il s’agit de Rocambole, épouvantablement défiguré. Son visage est couvert de sang, en plus d’être devenu beaucoup plus boutonneux que quelques minutes plus tôt. Cuthy se dit que pour la deuxième fois de la journée, elle allait sauver la vie de Rocambole.
​
Florent Babin, IUT de Vélizy
​
Où l'ennemi change de forme.