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​"Simon, remets ta ceinture !

– Excuse-moi, mais je veux attraper ma bouteille d’eau, j’ai soif.

– Foutu gamin, à rien écouter ! Rattache-toi c’est une route dangereuse, Simon, s’il te plaît !

– T’as qu’à m’aider, elle est derrière toi. "

 

Il fallut quelques secondes pour que sa mère enlève sa main droite du volant et tente d’attraper la bouteille derrière son siège pendant qu’il se rattachait. "Tadaaaa, et voilà" cria Simon; mais soudain, la voiture changea de direction, sa mère leva trop tard la tête. En un coup de volant la voiture fonça droit dans un mur vierge, usé par le temps, puis plus rien.

​

*

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"Non mais Simon qu’est-ce que tu fais là ?

Avec appréhension, il se retourna, tiré de ses pensées par une voix familière.

– Euh Cassandra qu’est ce qui se passe ? Et pourquoi je suis dehors ?

– Somnambulisme je dirais, comme d’hab, viens je te ramène à la maison.

– Ne dis rien à mon père, il doit se préparer pour son discours de demain, ça va l’inquiéter pour rien. Ne dis rien, vraiment, je ne comprends même pas ce que je fais ici."

 

Infailliblement, Simon se retrouvait toujours dans ce satané lieu ; en vérité il savait très bien ce qu’il faisait ici, chaque fois qu’il fermait les yeux il voit ce mur. Rien, pas même ces cœurs d’un rose écœurant n’arrivaient à lui faire oublier cette nuit.

 

"Tu rêves de ça tous les soirs ?"

 

Simon laissa glisser son regard sur les lieux de l’accident, ce sont les élèves de sa mère qui avaient décidé de lui rendre hommage en recouvrant le mur de cœurs, témoignage de l’affection qu’ils avaient pour elle. Elle jouissait alors d’une bonne réputation au sein de l’université, tous ses élèves l'appréciaient en tant que Présidente. Évidemment, ils n’étaient pas les seuls à qui elle manquait, Simon pensait constamment à elle, à chaque instant.

 

"Tu le sais très bien, approuva Simon en baissant la tête.

– Et depuis le temps que ça dure, tu ne voudrais pas prendre des somnifères ou en parler à quelqu’un ?

– Non, mon père s’occupe déjà de moi, en général je bois un verre d’eau et ça passe.

– Et tu vas me faire croire que le simple fait de le boire te permet de dormir ?», répondit-elle avec un étrange sourire.

– Evidemment, rigole si tu veux mais c’est véridique, avec mon père c’est notre rituel et ça m’a toujours aidé depuis que je suis tout petit. Toute façon tu ne peux pas comprendre. Et puis qu’est-ce que tu faisais là, tu me suis ?

– Sûrement pas, je suis allée te voir chez toi après ton message mais tu n’étais pas là, alors je suis venue à l’endroit où je suis toujours sûre de te trouver. Remarque, tu n’as peut-être pas bu assez d’eau ce soir », rétorqua-t-elle avec un petit rire.

 

Énervé, Simon partit en direction de sa maison, sans relever la moquerie de sa meilleure amie. Elle le suivit avec un air inquiet, se demandant si tout ça allait se finir un jour.

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*

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"Réveille pas mon père avec tes bottes, enlève les avant de rentrer, répéta Simon en arrivant devant sa porte d’entrée après le lui avoir rabâché plusieurs fois sur le trajet. Tout comme à son habitude, elle rentra comme s’il n’avait rien dit, le bruit de ses bottes percutant le carrelage immédiatement suivi par d’autres bruits de pas : ceux de son père descendant l’escalier en bois.

"Sapristi vous m’avez fait peur, j’ai pensé à un cambriolage, d'où est-ce que vous venez à cette heure-ci ? Immobiles, Simon et Cassandra se regardaient, complices, cherchant une excuse.

Esquissant un sourire, Simon répondit :

— D’habitude je dors facilement mais je n’y arrivais pas ce soir donc on est allé se balader.

– Résigne-toi à dormir maintenant, tu n’as pas bu le verre que je t’ai donné ? 

Émergea alors derrière son père, Jane, la petite sœur de Simon qui ne lui laissa pas le temps de répondre et le coupa :

– Envie de faire pipi, papa.

– Attends un petit peu Jane, je raccompagne Cassandra et je viens t’aider. Retourne te coucher Simon, je t’amène ton verre.

En montant l’escalier Simon sourit à sa meilleure amie et lança :

– T'inquiète, rentre bien Cass, à demain !»

 

Ne regardant pas si Jane était bien partie, Francis, le père de Simon, mit délicatement sa main au bas du dos de Cassandra et la guida vers la porte d’entrée. En remontant l’escalier, Jane se tourna et assista au geste de tendresse de son père ; immédiatement, l’image d’une belle femme blonde en robe d’été s’installa dans son esprit ; “Maman”, pensa-t-elle.

En s’approchant d’eux, Jane entendit leur conversation :

– Ne raconte rien à Simon, on a presque atteint notre but, j’ai mon discours demain !

– Ne me prends pas pour une idiote, je sais que je ne dois rien lui dire ! Étrangement il semble se souvenir de ce qu’il s’est passé ce soir-là, il faut que tu augmentes sa dose.

– En fait je crois que c’est ça qui pose un problème, j’ai déjà augmenté ses doses, il a de plus en plus d'hallucinations.

– Sans me prévenir ?, répondit-elle, déçue, et un peu plus fort qu’elle ne l’aurait souhaité. Emphatiquement, Francis reprit:

– S’il te plaît n’en fais pas une scène, ils sont sûrement tous les deux encore réveillés, s’empressa-t-il de répondre d’un ton ferme. Et, oui, “sans te prévenir”, je prépare ce jour depuis plus de dix ans, laisse-moi gérer ! Rends-toi utile et fais en sorte qu’il ne se rende plus là-bas, c’est mauvais pour lui.

– Il va mal depuis qu’il a tué sa mère. Et je ne peux pas lui faire oublier ce qu’on lui a fait faire ; augmente les doses, on n’a pas d’autre solution", chuchota-t-elle.

 

Ébahie, Jane retourna se coucher sans être sûre de ce qu’elle venait d’entendre. En se retournant une dernière fois, elle vit son père prendre Cassandra dans ses bras...

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*

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Soudain,“driiiiiiiiiiiing” : Simon se réveilla difficilement ; la veille il s’était immédiatement endormi après que son père lui avait amené son verre d’eau froide. En même temps, Jane se réveilla dans sa chambre, son rêve de la nuit dernière la perturbait encore. Elle avait cru voir sa mère et son père ensemble mais tout tourna rapidement au cauchemar. Refusant d’y réfléchir plus longtemps, elle descendit prendre son petit déjeuner avant de partir à l’école.

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"Evidemment les banderoles ne sont pas encore arrivées ! s’énerva son père depuis le salon.

– Ne t'énerve pas, elles ne servent pas à grand-chose ces banderoles de toute façon. Nimard ne t'a pas dit que tout était bon et que tu n'avais pas besoin de t’inquiéter ?, répondit Simon avec une voix faible.

– Exactement, mais ça c’était avant qu’il me dise que les banderoles n’étaient pas arrivées, et c’est “Monsieur Nimard”. D’ailleurs tu as bien dormi finalement, et toi aussi ma chérie ? 

Enervée, Jane partit de la table sans répondre, devant les regards d’incompréhension de son père et son frère.

– Elle s’est levée du mauvais pied ta sœur ce matin. Ne fais pas la tête toute la journée ça serait gentil, pour ton papa, ajouta Francis avec un drôle de sourire.

– En effet ! T’inquiète, Papa. A cet aprem à la fac !», cria-t-il après avoir récupéré son sac pour partir.

 

Regardant en face de lui, seul assis à la table de la cuisine, Francis, repensa à tout ce qu’il avait dû faire pour en arriver là. Avant, il n’était pas lui-même, sa femme l’écrasait du haut de son statut de présidente de l’université. Elle l’était devenue peu après leur mariage, il ne l ’avait pas vu venir, elle n’avait jamais partagé ses ambitions avec lui. Il avait pris cela comme une trahison et ne le lui avait jamais pardonné jamais ; pour la punir, il avait décidé d'utiliser ce qu’elle aimait le plus pour la paralyser : son fils, en le droguant pour qu'il devienne atone, collé aux basques de sa mère. Et plus tard, lorsque tout cela avait débouché sur l'accident, il avait compté sur le soutien de la charmante Cassandra pour surveiller son fils, pris de remords. Sur ce, Francis se leva d’un coup, finalement ramené au discours de l'après-midi, qui devait signer sa consécration.

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"Ne fais pas la tête Jane, pas d’école pour toi aujourd’hui, tu vas venir voir papa faire son discours. S’il te plaît ne fait pas la tête, je ne sais pas ce qu’il t’arrive mais je t’attends dans la voiture ma chérie, sors par le garage, enchaîna-t-il depuis le rez de chaussée. En attendant sa fille dans la voiture, il appela Cassandra pour la tenir au courant :

– T’es là, Cassandra ?

– Allo, dépêche-toi je vais rentrer en cours.

– Simon doit aussi être arrivé alors. Surveille-le bien aujourd’hui, j'arrête la drogue ce soir, tout est bientôt fini.

– Il faut s’assurer de ne laisser aucune trace, fais bien attention, ce sera réellement fini quand il sera enfermé, répliqua-t-elle, clairement excitée par la nouvelle.

– Est-ce que j’ai enlevé de son sac..., commença Francis.

– S'il-te-plaît on raccroche, je dois te laisser il vient vers moi, bisous, je t’aime", dit-elle avant d'interrompre l’appel.

La petite sœur de Simon arriva au même moment dans le garage, la tête baissée, l’air renfrogné. Elle n’avait toujours pas réussi à comprendre ce qu’elle avait entendu la nuit passée.

– En route petite grincheuse, mets ta ceinture, dit son père avec un sourire. Essaie de ne pas faire la tête toute la journée, on va acheter quelques décorations manquantes pour mon discours et après on ira au travail de papa ensemble."

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*

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En fin de matinée, Francis et Jane, qui n'avaient toujours pas échangé un mot, arrivèrent sur le parking de la fac. Ce qui était autrefois un moment de la journée sujet à dépression pour Francis fut accueilli par son grand sourire. En sortant ses achats du coffre, il vit au loin son collègue, Monsieur Nimard, arrivé en courant. Tout essoufflé, celui-ci s'arrêta près de lui, regarda Jane puis son père avec un air désolé, et commença :

"Ecoute...c’est une...catastrophe...Francis...je suis...désolé.

– En quoi ?, répondit l'autre, paniqué. Ecoute, il ne doit rien y avoir de grave, les doyens sont-ils revenus sur leur décision ? Ne me dis pas qu’il y’a un problème avec mon discours !

– Simon...c’est Simon...on n’a pas compris...il était juste malade... je t’ai vu arriver", continua-t-il, toujours essoufflé.

– Est-ce qu’il va bien ?

– Non, il a fait une overdose Francis, il a été emmené à l'hôpital, on n’arrivait pas à te joindre."

En même temps Cassandra arriva, le visage marqué par la peur et la culpabilité. Elle avait vu Simon partir à l’infirmerie parce qu'il se sentait mal, mais ne savait pas ce qu'il s’était passé ensuite, la sirène de l’ambulance s’était chargée d’avertir tous les élèves que quelqu’un allait mal, très mal. Laissant Monsieur Nimard, sans réfléchir, Francis monta avec Cassandra et Jane dans sa voiture ; cette dernière avait compris que quelque chose de grave était arrivé à son grand frère.

 

"Est-ce que je me suis trompé sur le dosage ?" se demanda Francis avant de partir en trombe.

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*

 

Enfin arrivés à l'hôpital, ils se précipitent tous les trois à l'accueil de l'hôpital, Jane dans les bras de son père, chacun inquiet pour différentes raisons. Simon était pour l’une un héros, et pour les autres l'outil pour arriver à leurs fins. Sans laisser à l’homme de l'accueil l’opportunité de débuter la conversation, Francis suffoqua, en ne parvenant presque plus à aspirer d'air :

"Rassurez-moi, dites-moi que vous avez reçu mon fils, Simon Tavare ? Est-ce qu’il est mort?, tenta-t-il de dire en essayant de reprendre sa respiration.

– Nous ne pouvons communiquer des informations comme cela. A moins que...vous êtes son père ?, demanda l’homme en essayant de prendre un air réconfortant.

– Tout à fait, c’est moi ! Il est...mort ?, répéta Francis après n’avoir obtenu aucune réponse la première fois.

S’efforçant de garder son calme, l’homme de l'accueil regarda Jane dans les bras de son père, puis fixa ce dernier, choqué par le comportement et le manque de délicatesse de Francis.

– Sûrement pas monsieur, son pronostic vital est engagé mais les médecins sont confiants. 

Surprise : le premier instinct de Francis fut d’être déçu, mais il se reprit rapidement et afficha un air soulagé. Ecartant les gens sur son chemin, un vieux médecin arriva et rassura le père de son patient :

– Tout ce que je peux dire, en étant honnête, est qu'il va s’en sortir, mais sa situation reste grave. Est-ce que vous sauriez me dire comment votre fils de 18 ans a pu faire une overdose au Valium ?", marmonna le médecin.

 

Ne comprenant pas comment il pouvait se retrouver dans une telle situation le jour où il allait enfin atteindre son but, son grand objectif, Francis riva son regard sur celui de Cassandra, la détresse dans ses yeux cherchant une solution dans les siens. Sans le remarquer, il avait posé sur les épaules de Simon le poids de sa frustration, et tous ses espoirs reposaient maintenant entre les mains des médecins et sur le pardon de son fils.

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