Les Rocambolesques
roman-feuilleton collectif arborescent à contraintes

     Candice n’écoutait pas Nathan. Elle était trop préoccupée par l’état des lieux, dont l’aspect lui donnait la nausée. Ce café, si on peut l’appeler ainsi, avait l’apparence d’un vieux cabanon avec les murs pleins de toiles d’araignées et quand on s’approchait de plus près, on pouvait apercevoir de petits charançons, grouillants dans tous les sens tels de petits êtres ignobles et effrayés. Candice fut écœurée par cette vision horripilante que renvoyait l’endroit dans lequel elle s’était assise aux côtés de son supposé époux. Soudain, un petit cri strident résonna à travers toute la pièce et attira les regards du peu de clients présents. Candice, effrayée par le petit insecte qui s’était posé sur sa main, s’était accrochée au bras de Nathan. Ce dernier poussa un cri joyeux. 

    « Ah ma chère Candice ! Pour ce qui est de dissimuler tes émotions on ne peut pas compter sur toi. Mais c’est cela qui m’a plu le plus chez toi quand nous nous sommes rencontrés. Cette habileté dont tu fais preuve lorsqu’il s’agit de considérer l’univers qui t’entoure, tout en faisant preuve de sentimentalisme… Nos années de mariage ont été les meilleures années de ma vie, je n’ai jamais été aussi heureux avec quelqu’un… Te souviens-tu de notre chien Norbert ? Tu lui manques tu sais. Le pauvre commence à se faire vieux, il lui reste à peine assez de quenottes pour manger sa pâtée, alors je suis toujours contraint de lui broyer ses aliments comme si c’était un gros bébé. »

     Candice écoutait Nathan avec fascination. Elle se demanda, en l’écoutant lui raconter toutes ces heureuses anecdotes de leur vie conjugale, comment tous ces bons moments avaient pu tomber aussi facilement aux oubliettes. Elle continuait néanmoins de l’observer, elle le trouvait bel homme, galant et dans sa manière de lui parler, elle décela une nature douce. 

     Un garçon de café un peu trop rachitique transbahuta leur commande et annonça : « C’est pour vous les cafés ? » d’une voix à peine audible qui laissait percevoir son manque d’implication. Notre couple répondit d’un hochement de tête, Nathan tendit la main pour payer les cafés mais fit tomber toutes les petites pièces sur le sol crasseux. Candice eut un petit rire honteux, l’attitude désentripaillée de son mari l’amusait. Le bruit des pièces qui étaient tombées avait mis tous ses sens en alerte et il rougissait en ramassant monnaie devant le serveur qui était resté aussi immobile qu’une statue de béton. 

     « Comme je déteste me donner en spectacle, dit-il en se relevant. Pardonne mon comportement absurde.

- Ne vous excusez pas, ces choses-là arrivent à tout le monde !

- Tu peux me tutoyer tu sais … Enfin si tu le souhaites, je t’assure que cela ne me gêne pas du tout. Autrefois tu m’appelais Natatan, je me fâchais à chaque fois que j’entendais ce surnom et toi, pour me faire rire, tu me mordais l’oreille en riant… Comme j’aimerais revenir en arrière… » 

     Puis, Candice décida qu’il était temps de relancer le sujet principal de leur entrevue. Elle prit son courage à deux mains et demanda :

     « Pourquoi n’êtes-vous pas venu me chercher plus tôt ? Cela fait six mois que je suis sortie de l’hôpital, je n’avais personne à qui faire confiance pour m’aider après l’accident… Où étiez-vous tout ce temps ? 

- J’étais bouleversé… Je mourrais d’envie de te voir et de te prendre dans mes bras mais j’avais peur que tu me rejettes. Alors, j’ai préféré ne pas me présenter à toi et te laisser faire ta vie… et essayé de t’oublier pour m’en construire une nouvelle. J’ai été lâche, je le sais. Pourras-tu me pardonner un jour ? » 

     Candice le regarda dans les yeux, elle était perdue, ne savait ce qu’elle devait penser de tout cela. Mais étrangement, cet homme qui prétendait l’avoir aimée jadis lui inspira confiance. Comprenant le silence de sa femme, Nathan baissa la tête tristement. Candice posa sa main sur celle de son pauvre mari tiraillé par le remords et lui sourit. Elle avait envie de croire cet homme, elle sentait qu’elle l’avait aimé elle aussi, elle le ressentait au plus profond de sa chair. Elle avait commencé à s’imaginer une vie avec lui, un amour indestructible. Ainsi, pour la première fois depuis son réveil, elle ne se sentit plus seule. 

     Nathan lui proposa de sortir du café afin d’aller se promener sur le pont des amoureux qui se trouvait à deux rues de là. Candice, heureuse de quitter cet endroit lugubre, bouscula accidentellement un homme à l’entrée du café et le fit tomber. 

     « Oh mon Dieu ! Veuillez m’excuser Monsieur, c’est de ma faute, j’aurais dû faire plus attention! Attendez, laissez-moi vous aider. » 

     La jeune femme tendit sa main vers sa victime, qui, vraisemblablement fort alcoolisée, avait le nez déjà rougit par le froid, et son état d’ivresse n’arrangeait pas son cas. Il portait des vêtements usés, de couleurs vives et complètement désaccordées, et ses cheveux en pagaille d’un blanc intense rappelèrent à Candice l’accoutrement d’un clown. Son corps était bien trop maigre pour ses habits ridiculement larges. Quand il eut assez de force pour se relever, Candice eut peur que ce pauvre homme, qui flottait dans ses haillons, ne retombe. Une fois totalement dressé sur ses deux jambes frêles, Candice put enfin apercevoir le visage de l’homme entièrement. Cette dernière constata avec étonnement que les traits de ce vieil homme lui étaient familiers. Quand il fut face à Candice, un large sourire édenté se traça sur sa face abîmée par les ravages du temps. 

     « Ah ! Ma petite dame ! C’est bien vous ? Par Dieu vous n’avez pas changé, toujours aussi jolie ! Mais non, mais non ! Ne vous faites pas de bile, je suis un solide gaillard … 

- Fripouille ! Canaille ! Écarte-toi de ma femme ! » hurla Nathan en fonçant droit sur l’inconnu avec une rage folle. Il le frappait de toutes ses forces en lui énumérant une série d’injures, les plus vulgaires qui soient. Candice était restée stupéfaite par ce déferlement de violence de la part de son mari. Puis soudainement, elle eut en tête des images d’horreur abjecte d’elle se faisant battre par un individu dont elle ne put distinguer le visage. Du feu, la douleur, la peur, le désespoir, c’était ce qu’elle ressentit. Pour chasser cette vision, elle hurla à Nathan de cesser de frapper l’homme clown. Ce dernier ne cessait de supplier son agresseur de le laisser tranquille. Candice vit dans son regard qu’il était terrorisé et son mari, quant à lui, menaça le vieil ivrogne d’une voix effrayante :

     « Si par malheur nos chemins seraient amenés à se croiser à nouveau, tu regretteras le jour de ta naissance, crois-moi sur parole. » 

     Puis Nathan relâcha l’inconnu qui détala à toute vitesse en pleurant à chaudes larmes. Il se tourna vers sa femme en haletant.

     « Je n’accepterais pas qu’il t’arrive un autre malheur. C’est clair ? » 

     Étant trop bouleversée par ce qui venait de se passer, Candice jugea plus raisonnable de rentrer chez elle et de remettre cette promenade à une autre occasion. Néanmoins, Nathan insista pour raccompagner la jeune femme jusqu’à son appartement. Elle accepta. 

     Le soir, après cet épisode traumatisant, Candice ne cessait de se demander qui pouvait bien être l’homme qu’elle avait fait trébucher et ce qui avait bien pu se passer dans la tête de Nathan pour qu’il s’en prenne ainsi à lui. Est-ce qu’il était possible qu’ils se soient connus auparavant ? Lui devait-elle de l’argent ? Était-il un membre de sa famille ? Toutes ces questions assiégèrent son esprit et l’empêchèrent de dormir correctement.

Le lendemain, Candice décida qu’elle devait enquêter. Elle retourna au café de la veille en espérant retrouver l’inconnu.

 

 

​​​Claudia FERREIRA (UPEM - L1 Lettres Modernes)

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