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     Sa voix se brisa.

    Il ne savait pas par où commencer. Devait-il parler de l'accident en premier, ou bien lui rappeler leur vie avant tout cela ? La tasse de café se faisait froide, la nuit aussi. Il commençait à pleuvoir, dehors et dans ses yeux. Candice était silencieuse, d'un silence long et pesant. Un charançon se baladait sur le comptoir infesté de grains de café, la lumière scintillait avec force, Candice ferma les paupières. Dans ses souvenirs, un éclair lui traversa l'esprit de part en part, le bruit strident d'une machine médicale lui provoqua un acouphène douloureux. Pourquoi ne parle-t-il pas ? A-t-il lui aussi tout oublié ? Nathan était, en réalité, juste perdu dans sa propre vie.

     Après l'accident, il avait fait preuve d'un grand sentimentalisme – comme toute personne ayant vécu un traumatisme. Chaque détail, aussi minime soit-il, lui rappelait sa jolie blonde. La moindre étincelle faisait ressurgir en lui leur première rencontre, lorsqu'il était venu éteindre l'incendie chez elle en tant que pompier, ou alors lorsqu'il était allé chez le dentiste et que la photographie d'une petite fille montrant ses dents avait fait remonter le souvenir de la fois où Candice lui avait avoué qu'elle possédait toujours ses dents de lait ; il s'était donc moqué en lui parlant de ses quenottes d'enfant. Le problème de cette extrême sensibilité, c'était la souffrance. Il n'y avait rien de plus horrible que cette sensation, celle de voir Candice partout, tout le temps, alors qu'elle ne se souvenait de rien de tout ce qu'ils avaient traversé ensemble. Comme si... comme s'il était tombé aux oubliettes, mais sans qu'elle le veuille. Oui, elle n'avait pas voulu tout ça, il pouvait en être certain.

     Après l'accident, elle avait fait preuve d'une grande volonté de se rappeler. Elle se souvenait des ambulanciers qui l'avaient transbahutée d'un brancard à un autre, sans aucune délicatesse, puisque le temps manquait, le temps pressait, même si pour elle, il s'arrêtait. Son corps saignait, son sang s'écoulait, le liquide était chaud et elle, elle avait si froid. Elle avait l'impression que son cœur se disloquait, pire encore, il se désentripaillait. Son cœur mourait. Et un éclair lui traversait l'esprit de part en part, elle ne pouvait distinguer les différents néons au plafond immaculé. Ensuite, le noir, presque complet. Ses yeux étaient tellement fermés qu'elle finissait par voir des bulles de couleur dans l'obscurité.

     La rivière coulait à côté du petit café, leurs boissons avaient fini complètement glacées. Aucun des deux n'y avait touché. Vingt minutes s'étaient écoulées depuis qu'ils s'étaient installés. Ils étaient comme dans un cocon aquatique – rien ne pouvait les déranger. La pluie était torrentielle, le printemps capricieux cette année. Comment avait-elle pu tout oublier ?

     C'était en automne, il y a quatre ans.

     On était sûrement en Novembre, il neigeait déjà et le froid offrait aux passants des étreintes qui lacéraient l'épiderme. La voiture a perdu le contrôle, Candice était au milieu de la route. Cela lui avait semblé bref, indolore. Très inattendu. La neige recouvrait son corps peu à peu.

    Un sanglot parcourut Nathan, il se souvenait lui aussi. L'air devint soudainement irrespirable dans le café. Il pleuvait toujours. Il pleurait encore. Il aurait voulu perdre la mémoire lui aussi, ça ne pouvait pas être aussi douloureux que le mal qu'il ressentait en revoyant l'accident. Les cheveux blonds de Candice colorés de rouge, de son sang. Les lèvres bleues, les joues violettes, le cœur en décomposition. Leurs cœurs en décomposition. Plus tard, le bruit strident d'une machine médicale lui provoquant un acouphène douloureux. Et puis ses yeux.

    En silence, le jeune serveur vint débarrasser leurs cafés non-consommés. Il leur demanda de payer, le café allait fermer. Ils sortirent. Candice ne savait plus tellement si c'était de la pluie ou des larmes sur les pommettes de Nathan et lui ne savait plus vraiment si les cheveux de Candice étaient roux ou bien tachés de sang. Tout était confus entre eux. La porte métallique du café tomba derrière eux, rideau de leur vie. Il manquait quelque chose au dehors, la nuit dévorait les rues, les ombres menaçantes l'emportaient. La Lune s'en était allée, timide derrière les nuages épais. Et petit à petit, tout le monde oubliait.

     Candice était au milieu de la rue et il neigeait, elle était au milieu de nulle part et il gelait. Pourquoi ?

 

     « Pourquoi ? »

 

     Sa voix sonnait comme un cri, et elle résonna contre les parois des immeubles aux alentours. Jamais elle n'eut de réponse. Elle avait les yeux baissés, le seul lampadaire de la rue clignotait, la pluie brouillait l'horizon et la rivière le moindre son. Jamais elle n'eut de réponse, au sol un éclat doré l'aveugla, celui d'un pendentif en or, ancien. Elle releva les yeux.

 

      Nathan n'était plus là.

 

 

     Romane DOS SANTOS PIRES (UPEM - L1 Lettres Modernes - TD2)

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