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Annika ouvrait ses yeux, et à son plus grand désespoir, elle retrouvait encore ce mur, d’un blanc délavé hideux, qu’elle haïssait tant. Depuis combien de temps était-elle enfermée ici ? Ses vêtements étaient sales, recouverts de poussière et d’autres matières dont on ne pouvait savoir la provenance. Elle perdait le peu d’espoir qu’il lui restait. Elle avait essayé de pousser la porte métallique qui l’enfermait dans cette pièce, en vain. Elle criait, espérant sans doute qu’une âme charitable vienne lui ouvrir, mais ses agresseurs demeuraient silencieux. Ses agresseurs, elle ne les connaissait pas.

C’était un jeudi après-midi, elle devait retrouver son amie dans le café en face de la Seine. Son amie avait finalement annulé le rendez-vous – nous n’avons pas besoin de savoir pourquoi.

Elle s’était installée toute seule à une table. En face d’elle, Annika observait un charançon qui s’attaquait à un gland tombé à terre.

« Annika. »

Une voix d’homme résonnait encore dans ses oreilles alors qu’elle cherchait le corps appartenant à cette voix.

Sur le trottoir, en face d’elle, il était encore là. La jeune femme dut s’y résoudre : il la suivait. La rue était vide, et l’homme s’approchait sans crainte. Devait-elle courir ? Devait-elle crier ? Quelqu’un l’aiderait-elle ? Sur un coup de tête, sans plus réfléchir, elle décida de s’enfuir. Arrivée au mur de graffitis, elle avait cru s’être échappée, mais l’homme était réapparu devant elle. Elle s’était réveillée ici, dans cette cellule ressemblant à celle d’une prison. La porte s’ouvrit dans un bruit aigu et Annika revint à elle.

« Annika… Annika, tu m’as manqué… murmura un homme en feignant le sentimentalisme. »

Il posa, à ses pieds, une assiette de purée ornée de viande qui semblait être périmée.

« Laissez-moi partir, s’il vous plait… implora Annika. »

L’homme sourit, dévoilant ses quenottes mal nettoyées. Il ricana et attrapa sa victime par le bras :

« Si je te laisse partir, ils vont te récupérer. Tu souffriras. Je te protégerai. Comme toutes les autres ici. Notre rôle est de vous protéger. »

 

« Annika ! »

La jeune femme observait tous les visages, peints d’une légère inquiétude, qui étaient réunis dans sa chambre d’hôpital. L’infirmière la rassura de nouveau en lui disant qu’elle n’était plus à Neukohln, mais à l’hôpital d’Hermpannplatz. Deux policiers s’étaient présentés à elle, pensant lui soutirer des informations.

« Nous sommes les inspecteurs chargés de l’enquête vous concernant. Pouvez-vous répondre à nos questions ?

- Vais-je retourner aux oubliettes ? murmura Annika d’une voix tremblante.

- Vous n’étiez pas dans un cachot, madame, mais dans un asile désaffecté, lui signala un des deux hommes. Vous rappelez vous de quelque chose ?

- Comment suis-je arrivée là-bas ? demanda la jeune femme qui avait repris son calme. »

Le policier soupira d’exaspération face à la lenteur à laquelle l’enquête avançait. Son collègue lui lança un regard discret avant de souffler lui aussi.

« Un groupe d’hommes kidnappe des femmes et font toutes sortes d’expériences avec elles. Elles sont violées, sous-alimentées, et bien d’autres choses inhumaines. Ils se sont enfuis lors d’un transfert d’un hôpital psychiatrique à un autre et sont, depuis, introuvables. Ca va faire sept mois, ils ont déjà agressé vingt-et-une femmes et les ont transbahutées dans l’asile de Neukohln. On ne sait pas exactement ce qu’il s’est passé là-bas, mais personne n’en ressort entier… lui expliqua-t-il d’un air grave. »

Annika avait les yeux humides. Elle ne se rappelait de rien, mais elle ressentait encore cette peur horrible. Les policiers, voyant qu’elle n’était capable de rien dire, s’en allèrent silencieusement. Lorsqu’elle était seule, Annika pouvait se sentir désentripaillée. Des choses lui revenaient lorsqu’elle fermait les yeux. Ils étaient cinq. Ils disaient qu’elle leur appartenait. Le chiffre trente-deux revenait régulièrement aussi. Elle l’avait vu sur le haut d’une porte, en face d’elle. Ou était-ce sur le bracelet en plastique prouvant qu’elle était bien admise à l’hôpital ? Pourquoi ces hommes s’en étaient pris à elle ? Etait-ce parce qu’elle était brune ou parce qu’elle portait une robe ? Annika avait beaucoup de questions, mais peu de réponses. Elle était imprégnée d’une curiosité dont elle se serait passée.

La porte grinça légèrement et un homme d’une trentaine d’années entra dans la chambre. Il restait dans l’encadrement de l’ouverture, et semblait épier indéfiniment Annika. Finalement, il referma la porte en la claquant sèchement. La jeune femme sursauta et voulut s’enfuir.

« C’est lui… C’est lui… répétait-elle. »

Tous ces fils l’empêchaient de bouger. Pourtant, son cerveau lui criait de ne pas rester là.

« Annika… Annika… Tu m’as manquée, Annika… chuchota l’homme à l’oreille de la femme. »

Annika allait se débattre, elle allait crier. Puis, il fit noir. Annika était plongée dans le néant, cherchant une quelconque source de lumière, en vain.

« Je t’ai dit que je te protégerai… »

 

 

Camille MARCHERAT (UPEM - L1 Lettres Modernes - TD2)

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