Les Rocambolesques
roman-feuilleton collectif arborescent à contraintes
Rocambole et Cuthy sont essoufflés. La chaleur pesante du tunnel s’ajoutant aux quelques centaines de mètres de marche et aux longues minutes pour aider Cuthy à enfiler son porte-jarretelles a habillé nos deux protagonistes d’une brillante couche de sueur. Un effort supplémentaire leur est nécessaire pour parvenir au bar : le tunnel se termine par un long passage étroit d’une hauteur d’environ cinquante centimètres. Rocambole et Cuthy comprennent que la courte distance les séparant du bar gay se fera en rampant.
Quelques minutes plus tard, Rocambole atteint enfin une surface plane en bois. Il aperçoit sur l'entrebâillement de la porte un charançon qui dévore lentement une planche. Rocambole le fait tomber d’un geste de la main et sent la fraîcheur de l’air climatisé provenant du bar. Pour ne pas attirer attention, il pousse la porte avec délicatesse. Il se faufile à l’intérieur du Porte-jarretelles, puis aide Cuthy à pénétrer à son tour dans la cave secrète du bar. Les deux protagonistes ont de la chance : personne n’a noté leur entrée. Le barman, debout derrière le comptoir, leur tourne le dos et contemple les différents alcools en essuyant un verre à whisky, tandis que les deux seuls clients présents dans la pièce s’adonnent à des jeux coquins sur une banquette matelassée en cuir brun. Les habitués du bar y verraient un moment charnel où deux hommes, détournant leurs cravates de leur usage ordinaire, mettent en scène leur sentimentalisme. Cuthy, quant à elle, préfère ne pas regarder, afin de laisser ces inconnus dans leur intimité.
​
Discrètement, nos deux protagonistes se glissent vers l’escalier en colimaçon permettant d’accéder à la salle principale du lieu. “Les femmes d’abord” dit Rocambole avec un grand sourire, tandis que Cuthy allume la lampe torche de son téléphone mobile. Alors qu’ils montent les marches, la quinquagénaire pousse soudain un hurlement comparable à un crissement de pneu. Le téléphone s’envole et heurte Rocambole en pleine face. Celui-ci, violemment aveuglé par le flash brillant du portable, met quelques secondes à reprendre ses esprits. Il sort de sa poche un briquet, l’allume et découvre que Cuthy est tombée sur les marches. Un vieil homme visiblement ivre, portant un costume sale et abimé, s’agrippe aux cuisses de sa partenaire en criant : “Où est donc ma quenotte ?! C’est vous qui me l’avez volée ! Rendez-moi ma que...”. L’homme n’a pas pu finir sa phrase que Rocambole lui assène un violent coup de pied derrière le crâne. Agacé par ce contre-temps, le héros de roman-feuilleton jette le vieillard au bas de l’escalier. Il aide Cuthy à se relever, lui rend son téléphone qui dégage encore une forte lumière blanche et lui demande si elle va bien. Cuthy, sous le choc, ne répond que par un acquiescement. “Je vais prendre les devants avec mon briquet. Tenez-moi par le bras”, dit Rocambole pour rassurer sa partenaire. Ils continuent leur progression vers la salle principale du bar et atteignent le haut de l’escalier.
​
Rocambole pousse la porte métallique noire qui leur permet de découvrir une piste de danse où quelques danseurs improvisés se déhanchent timidement sur une vieille chanson de Patrick Bruel. Cuthy se sent rassurée en découvrant les lieux. Les murs et les voûtes en briques ainsi que le mobilier rappellent étrangement Le Caveau des oubliettes, un bar du cinquième arrondissement où elle aborde généralement ses conquêtes du vendredi soir. Rocambole interrompt Cuthy pendant sa contemplation en la tirant brusquement par le bras pour laisser passer une femme assez mûre transbahutant vers la cave intime une jeune femme qui semble avoir la moitié de son âge. Ils poursuivent ensuite leur exploration des lieux, mais Cuthy ne comprend toujours pas ce qu’ils font ici : “Vous pourriez me dire ce qu’on cherche dans ce bar miteux au juste ? chuchote-t-elle à son voisin.
— L’homme-pélican, bon sang ! Mon affaire avec lui est en suspens, et c’est de votre faute, je vous le rappelle ! s’énerve Rocambole.
— Ben voyons… Et il faut vous désentripailler pour obtenir un merci, c’est ça ?!”
Rocambole s’arrête alors net, et ce n’est pas à cause de la remarque de Cuthy. Il vient d’apercevoir, accoudé au comptoir du bar, l’homme-pélican. Pris d’un accès de sauvagerie, Rocambole se jette sur son ennemi et tente de nouveau de le démasquer. Surpris, l’homme-pélican ne peut pas se défendre. Rocambole essaie à de nombreuses reprises d’arracher le masque extravagant de son adversaire, en vain. Le camouflage semble collé au visage : impossible de le retirer. Très vite, l’un des clients du bar, telle une groupie venue défendre l’homme-pélican, se précipite sur Rocambole. L’anarchie qui suit retourne complètement le bar, dans une violence telle que n’importe quel fervent pacifiste aurait été poussé au suicide. La bagarre n’a très vite ni queue ni tête. La mêlée est générale et les protagonistes frappent tout ce qui leur passe sous la main. Ce chaos permet à Rocambole de tirer Cuthy hors du bar, et de les sortir d’une nouvelle situation épouvantablement catastrophique.
​
Malheureusement, quelques personnes ont remarqué la sortie de Rocambole et se sont mises à sa poursuite. Rocambole emmène Cuthy sur le parking du bar. Nos deux protagonistes courent vers les toilettes de chantier qui appartiennent au Porte-jarretelles. Ils entrent dans le préfabriqué en bousculant un adolescent boutonneux qui taguait la porte. C’est alors qu’ils tombent nez à nez avec un second homme-pélican. Celui-ci semble avoir tout juste mis son masque...
​
Akila Hewapannigala
IUT de Vélizy
​