Les Rocambolesques
roman-feuilleton collectif arborescent à contraintes
Quatre ans que je tentais de gagner un poisson ! Je n’aurais jamais dû fêter mon anniversaire dans cet endroit de malheur. Il s’agissait pourtant du parc d’attraction le plus en vogue de l’année, tous mes amis jalousaient ma fête et les rires fusaient. Mes parents étaient fous de joie et je ne m’étais jamais autant amusé. J’avais expérimenté toutes les attractions. Avec mes camarades, nous avions préparé cette sortie depuis des mois ! J’étais allé me chercher une glace quand toutes les personnes autour de moi avaient disparues. Je ne m’étais absenté qu’une minute et cette minute avait défini les quatre prochaines années. Je croyais rêver, l’excitation dûe à la préparation de ma fête avait dû entrainer d’innombrables cauchemars… Puis, deux hommes masqués vinrent me chercher. Ils m’emmenèrent dans le train fantôme où ils m’énoncèrent les conditions de ma libération. Qui aurait cru que le parc de mes rêves était dirigé par des malfrats tentant de garder emprisonnés ses clients ? Ils nous promettaient donc la liberté sous certaines conditions : les miennes étaient soit de faire en sorte que quelqu’un prenne ma place soit de pêcher ce fichu poisson.
Je voyais un nouveau arriver au loin, il avait l’air plutôt influençable : la proie idéale. Il s’approchait et je me mis à penser aux choses les plus affreuses de ma vie. Vous me direz, être coincé ici était déjà assez horrible mais il fallait que je me force à pleurer afin d’attirer sa sympathie. J’avais quinze ans mais j’en faisais seulement douze, un homme de son âge se laissera facilement amadouer.
Mon plan fonctionnait à merveille : l’homme s’approchait et me tendait quelques pièces. Il restait ensuite près de moi, dans un stand où il se servait une bière. Je tentais une dernière fois d’attraper ce fameux poisson mais une fois de plus, j’échouais. Je mis en place un nouveau plan : mon nouvel ami allait m’aider à m’échapper.
J’allais vers lui pour le remercier et me plaignais de ne pas savoir m’y prendre avec les poissons. Après quelques minutes de conversation qui me paraissaient des heures, il me dit enfin : « Eh bien, laisse moi donc essayer ». J’atteignais enfin mon but, je voyais déjà les portes de sortie s’ouvrir à moi. Il n’allait pas réussir et serait emprisonné à ma place.
Ayant quitté mon stand, je m’apercevai de la tristesse de l’endroit. Les manèges tournaient seuls, vides, sans enfants pour crier ni adultes pour en rire. Chacun des stands étaient occupé par un prisonnier. Leurs regards étaient vides, ils ne semblaient plus savoir où ils étaient. Ils faisaient fonctionner leur attraction machinalement. Je me plaignais de mes quatre ans d’emprisonnement mais ces personnes semblaient être là depuis des siècles. Je cru même apercevoir une personne dans la grande roue. Subissait-elle inlassablement les tours de ce monstre géant ? Le parc, sans vie, me fit froid dans le dos. Je ne pouvais plus attendre, il était temps de rentrer chez moi et ce vieil homme ne voulait pas terminer sa bière. Ses balivernes concernant un soit disant corbeau qui tiendrait une boutique et l’aurait envoyé ici me permirent de ne ressentir aucune culpabilité pour ce vieux fou. Il finit même par inventer une histoire dans laquelle des corbeaux se démultiplieraient et l’aspireraient ici. Je ne tenais plus et me remis à pleurer : erreur de ma part, l’homme me demandait si je voulais retrouver ma mère. Il était lui-même à la recherche d’une femme, on pourrait ainsi entreprendre nos recherches ensemble. Cette idée ne me plaisait pas du tout.
Je devais partir et il devait rester. Seul l’un d’entre nous serait libre et il fallait que ce soit moi. Ce n’était pas de l’égoïsme mais j’avais toute la vie devant moi alors qu’il avait sûrement déjà dû vivre la sienne. Cette pensée animait ma culpabilité, et s’il était marié ? S’il avait des enfants ? Mes proches m’avaient sûrement déjà oubliés. Et s’ils ne me reconnaissaient tout simplement pas ? S’ils me prenaient pour un imposteur ? Je n’avais pas été élevé dans l’optique de faire du mal aux autres et je voulais que ma mère reconnaisse l’enfant qu’elle avait élevé et pas une espèce de monstre qui essayait de piéger un pauvre homme. Je devrais trouver un autre moyen de m’échapper et mettre mon nouvel ami dans la confidence. Peut être qu’il trouverait également un moyen d’arrêter ces malfrats.
Kassamaly Shazia
(L Lettres Modernes, UPEM)
​
Mis en ligne le 15 novembre 2016