Les Rocambolesques
roman-feuilleton collectif arborescent à contraintes
Il me semble que la chaise est balancée par les courants d'air. Des feuilles craquelées ocres tombent des branches mélangées aux murs, qui, captifs des ronces grinçantes, me gémissent leurs complaintes. Je ne peux rien pour vous, murs, moi, ce sont les étagères qui me font mal. Je relève la tête, des pétales blonds voltiges auprès du plafond-ciel. La mélodie jouée de l'autre côté d'une porte immense s'arrête. Il me semble encore que la chaise est balancée par les courants d'air, mais rien n'est moins sûr.
Des gouttes d'eau explosent sur le sol, il y a sans doute une fuite quelque part, des fuites, il y en a partout ici. Quelqu'un court, ce sont des pas que j'entends. Mon petit corps frêle frémit. Je ne bouge pas de ce couloir étroit et de ses étagères méchantes, écorchées, empilées qui me barrent la route. Quelques livres aux pages flétries me dissimulent. Il est essoufflé, il n'avance que par intermittence. Je sais que si je reste accroupi, il ne me verra pas. C'est un client, je déteste les clients. Ce sont des gens innocents, mais on entre pas chez Le Corbeau sans repartir à tire-d'aile. Si je le mets au courant, je n'aurais pas le droit de recouvrer les miennes. Le Corbeau me punira et il m'enfermera avec lui. Tout le monde veut des ailes, mais personne ne les mérite autant que moi. Pourtant, j'ai pitié de lui et j'hésite - mon grand cœur est trop bon. Ça y est ! il a remarqué la chaise, pourtant il ne fait rien, il ne voit pas le danger. Il s'en détourne et avance vers les étagères. Il n'y a rien à voir ici ! Si tu me vois, je te saute dessus.
Il se saisit d'un livre devant moi, mon visage parait clairement à présent et je peux sentir les courants d'air glacés. Il se relève, il l'ouvre, il ne m'a pas vu. Mais certainement dès qu'il le reposera, il me verra. J'aperçois ses genoux, ses yeux redescendent, je tends le bras, il pose le livre, j'attrape son poignet et tire très fort. Il se cogne la tête contre l'étagère puis elle se trouve entre deux d'entre elle, sa nuque courbée par celle du haut.
"Aïe ! Mais qu'est-ce que... ?
-Chut...
Je lui fais signe d'être silencieux.
- Toi pas faire bruit sinon Corbeau venir. Moi pouvoir aider toi.
- J'ai compris, dit-il tout bas en examinant l'intérieur de ma petite prison - il y avait seulement assez de place pour y loger un cadavre de petite taille. Explique moi ce qui se passe ici.
- Corbeau rendre humain oiseau, humain plus savoir parler correct et ment et sur dos pousser ailes. Corbeau couper ailes aux traitres."
Je mets sa main sur mon dos, il peut sentir que j'ai les ailes coupées. Il acquiesce, cela signifie qu'il décide de me faire confiance, j'imagine. Je lui explique qu'il doit me libérer de ma cage en soulevant les planches de bois brisées par la colère du Corbeau et qui servaient autrefois à porter les livres, puis, qu'il doit me suivre et qu'il nous fallait aller dans l'autre sens, le plus loin possible de la chaise maudite. Je lui indique une grande porte. Une porte que je n'ai jamais aimé, lourde comme le cœur d'un Rapace, elle est vêtue de noire et de plume de corbeau. La mélodie reprend. Il me suit, nous avançons vers la porte et je regarde derrière moi tous les trois pas. Il écoute attentivement, me regarde avec des yeux ennuyés, il a le sentiment que je suis méfiant, c'est évident et que j'ai des raisons de l'être. En réalité la chaise m'inquiète vraiment. Il doit penser qu'il est en danger et qu'il risque gros dans cette affaire et en effet, je l'amène au Corbeau, mais il ne le sait pas encore.
Manel
(L1 Lettres modernes, UPEM)
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Mis en line le 23 novembre 2016
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