Les Rocambolesques
roman-feuilleton collectif arborescent à contraintes
« CLAC ! »
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Le claquement de porte retentit dans mon crâne comme une immense gifle. Je suis bel et bien prisonnière de cet étrange individu.
Il me traîne, trébuchant au moindre pas, dans un couloir étroit aux peintures défraîchies et écaillées. Ce long couloir débouche sur un vestibule dans lequel un bric-à-brac s’est accumulé.
Entre les détritus en tous genres, émergent de vieux accessoires, des cartons à chapeaux, un cadre de bicyclette ainsi que des aliments en conserve. J’aperçois aussi des sacs de farine, de sucre et des bouteilles. Des immondices en tous genres jonchent le sol. J’ai l’étrange impression que je vais y finir mes jours tandis que notre course folle continue. Nous traversons cet enchevêtrement d’ordures d’où se dégage une odeur âcre, piquante, poussiéreuse, emplie de moisissures. Là, des cafards grouillent un peu partout dans un reste de sucre en poudre. Des charançons se délectent dans de la farine.
Le bruit lointain de la porte que l’on enfonce me fait comprendre que quelqu’un s’est lancé à notre poursuite. Un sauveur ! Par cet espoir, je suis comme enivrée des restes de sentimentalisme qui m’ont fait ré-entrer dans la chapellerie, il y a quelques minutes et cela me semble si lointain. Quelle erreur de ma part ! Comme je regrette tout cela !
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Enfant, ma mère me disait toujours que ma curiosité ne m’attirerait que des problèmes. Elle agitait son index et je haussais les épaules. C’est seulement aujourd’hui que ce souvenir me paraît explicite. Aujourd’hui, contrainte par cette brute, trainée par cet être à l’allure étrange, ce corbeau à la force herculéenne. Je comprends enfin ma pauvre mère.
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Je ne m’entends plus penser, dans un inimaginable vacarme, lancé dans sa course interminable, mon agresseur bouscule tout sur son passage. Je comprends qu’il cherche à retarder son poursuivant. Nous descendons désormais un escalier dont les parois sont taillées à même le roc. Les marches sont inégales ce qui me laisse penser qu’elles sont là depuis la nuit des temps. Les parois rugueuses me blessent au passage telles les branchages d’un sous-bois.
Mon agresseur s’arrête pour ouvrir une grille en fer forgé qui nous empêche de continuer notre course. Je guette le moindre bruit qui me signale l’avancée de mon sauveur.
Un rat nous regarde, de sa quenotte il ronge une vieille pomme et semble nous juger. Un grincement horrible amplifié par la réverbération du son, dû à l’effet cathédrale de cet escalier hors du temps, marque l’ouverture de la grille. Nous reprenons notre course folle. Nous fonçons droit vers les profondeurs d’où émane maintenant l’odeur de la vase. Je crois tomber dix fois et me rattrape aux parois humides. Parfois de petits paliers mènent à des oubliettes, nous devons alors rebrousser chemin.
Le sol devient de plus en plus humide, de plus en plus glissant. Je me fais transbahuter comme un vulgaire sac et je crois bien me faire désentripailler par les objets tranchants que nous rencontrons tant mon agresseur me traîne avec violence. Et ce, avant même que nous n’atteignions la sortie.
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Là, un ponton donne sur un fleuve. Je reste abasourdie de la maîtrise avec laquelle il évolue sur ce terrain visqueux. Une barque nous attend. Le corbeaux me jette littéralement dedans puis démarre le moteur. Je crois cents fois perdre connaissance mais la puanteur de cette embarcation de pêcheur me maintient éveillée. C’est un mélange de poisson pourri, d’essence et d’alcool, certainement dû aux restes d’une beuverie excessive comme il s’en déroule dans cette contrée. La fête de la bière locale a eu lieu il y a quelques jours. C’est dommage car tout semble si riant, si joli, si fleuri aux alentours, j’imagine assez mal que l’on puisse se noyer dans l’alcool. Je revois encore le soleil m’accueillir ce matin, dans la rosée. On aurait dit qu’il cherchait à enchanter les oiseaux voltigeants dans ses premiers rayons. Ma rêverie aussi étrange qu’inattendue, se dissipe au son de la voix de mon sauveur, malheureusement arrivé trop tard sur la berge. Je le distingue derrière le feuillage. Le pauvre diable s’est retrouvé à terre après avoir glissé sur la vase et du haut de son postérieur crie et hurle « Je retrouverai votre agresseur »
Marion Chevillard et Shazia Kassamaly
(L1, Lettres Modernes, UPEM)
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Mis en ligne le 10 novembre 2016