Les Rocambolesques
roman-feuilleton collectif arborescent à contraintes
-Monsieur ? Monsieur ???
Il est parti… La femme est partie aussi. Il n’y a même plus de chapeaux, ni de porte. Je suis perdu…
-Monsieur ? Où êtes-vous ? S’il vous plaît, je veux sortir d’ici ! Ne me laissez pas tout seul, je vais vous acheter des livres si vous voulez…
Silence. Mais elle est où la porte ? J’en suis sûr que je suis rentré par là ! Je me tourne plusieurs fois et je n’arrive pas à trouver la porte. Vraiment, je ne vois que des livres et quelques charançons qui rampent sur la boiserie. Je me rappelle que quand j’étais au lycée le professeur de biologie nous expliquait que les larves de charançon se développent à l’intérieur des plantes et s’en nourrissent, provoquant leur destruction. Puis ils sortent pour se reproduire à leur tour. Mais ici, je ne vois pas de plantes, ni de céréales ; rien que des livres. « Le sentimentalisme bourgeois » de Paul Lafargue, « Dôme » de Stephen King, « La force du silence » de Robert Sarah et Nicolas Diat. Oui, je ressens très bien la force du silence.
Il y a un petit couloir rempli avec des cartons de livres, je vois « La Bible ». Mais qui de nos jours achètera La Bible, ou bien « Courage fée quenotte » ? Il faut que je trouve la porte. Je ne vois presque rien dans ce couloir. C’est noir comme dans une oubliette !
-Monsieur ? Où êtes-vous ?
Silence. Je ne sais pas combien de fois je l’ai appelé, mais je commence à perdre patience. C’est comme si je m’étais transbahuté dans une autre sphère, mais même dans une autre sphère j’ai besoin de sortir d’ici et d'absolument finir mon roman. Ah ! Je crois avoir vu une silhouette. Peut-être est-ce le corbeau ?
-Allo ! Monsieur ? Mais vous ne m’entendez pas ou c’est moi ?
Je poursuis la silhouette dans l’obscurité, entre les cartons et les titres des milliers de livres. On dirait que je suis le héros échappé de son roman en cherchant son héroïne. Les charançons sont partout et la silhouette accélère le pas. J’ai peur, mes mains tremblent. Et je passe par tout ça juste pour avoir une idée pour mon roman. C’est incroyable !
-Arrêtez monsieur ! Je ne veux pas jouer à ce jeu !
Non, il ne s’arrête pas. Au moins je vois de lumière, peut être que la sortie est par là. J’espère que c’est ça. Je commence à me rapprocher de lui. Je vois déjà la porte. Je suis presque là, enfin je vais sortir. Il n’y a plus de charançons, ni de livres, ni de noir. La silhouette, c’est le Corbeau. Cette méthode de sortir les gens ne gagnera pas beaucoup de clientèle, il faut que je le dise.
-Vous ne gagnerez pas de clients avec ces blagues, monsieur ! dis-je.
Il se tourne vers moi et tout à coup se désentripaille ! Il se déloque et disparaît. Je ne comprends rien. J’essaie de me réveiller, mais non, je ne rêve pas. C’est la réalité et je crains de commencer à halluciner. Une fois que je sors d’ici, je ne reviendrai jamais ! Ce n’est pas logique, on ne peut pas disparaître comme ça. On est dans une boutique, pas à Disney !
« Le fleuve de la vie n’est jamais connu pour nous » ; me disait mon père. Oui, papa, on ne sait jamais ce qu’il va nous arriver, surtout avec des gens comme celui-ci. Je me trouve dans une librairie - maroquinerie, le vendeur est un monsieur avec une tête d’oiseau qui se désentripaille et qui essaie de me faire penser que je suis fou ; oui, on est tout-à-fait d’accord : on ne sait jamais la suite de notre vie. Je sors des ténèbres et je vois trois portes de chaque côté et devant chacune, une pomme posée sur une table de chevet ; rouge, verte et jaune. Les portes sont verrouillées, bien entendu. Je vais manger les pommes avant qu’il vienne m’ouvrir, me dis-je. Les rouges sont les plus sucrées. Dès le premier morceau, la porte devant s’ouvre en soufflant une puanteur écœurante. C’est comme les pêcheurs qui reviennent de pêche et qui sentent le poisson. Je fais quelques pas en rentrant dans la pièce et la porte derrière se referme. Pas très loin de moi, il y a un canapé rouge et juste à côté, une table avec une pinte de bière dessus. J’ai soif, mais je ne veux ni boire, ni manger, ni même rester une minute ici. C’est une rêverie ! La puanteur est insupportable, c’est comme si quelqu’un était mort.
Au bout de la pièce il y a une chaise berçante couverte de feuillage vert. La chaise est balancée. J’entends une musique au piano.
​
Rosista Trayanova
(Licence 1, Lettres Modernes, UPEM)
​
Mis en ligne le 10 novembre 2016
​
​
​
​
​
​