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Six

 

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Agacé par tant de bruit, mes émotions se bousculaient. Ces vives pensées qui revenaient me hanter se chamboulaient dans ma têtes.  Des massacres et du sang. Du sang sur le sol, du sang  sur les corps, du sang sur mes mains... Les souvenirs de mon service militaire ressurgirentt. Je sens qu’il en veut encore. Je pris le cou d’Anaïs et le brisai froidement. Le craquement de sa nuque retentissait. Je regardais ses yeux se vider de leur vie. Ça y est... elle est partie.

L’oiseau cessa de s’agiter. Je sortais de la boutique en tremblant. J’abandonnai ma tête dans mes mains, pris de remord, et laissai l’oiseau près du corps de sa fille inanimée.

Je m’asseyai dans la rue au coin de la boutique et commençai à sangloter. Subitement une voix familière me consola. C’était Barnabé, mon charançon domestique, on s’était rencontré il y a six ans dans un paquet de céréals . Alors que je le noyais dans mon bol de lait  sans y prêter attention il m’interpella afin de sauver sa vie. Depuis ce jour nous ne nous quittions plus.

Barnabé était un charançon assez gros pour son espèce. Il était d’une couleur noir profond avec des reflets rouges comme du fer oxydé. Toujours posté sur mon épaule, il est devenu mon meilleur ami, mon conseiller et ma seule famille. Devant mon état fébrile et larmoyant il s’écria :

"Allons Gastard cesse de pleurnicher, tu sais qu’elle t’a toujours méprisé. C’est tout ce qu’elle mérite.

-Mais tout de même ! C’était un être humain.

-Tu oses encore l’appeler être humain ? Elle t’a fait commettre le pire !

-Tu as sûrement raison, me résignai-je.

-Tu me connais, j’ai toujours fait preuve d’un grand sentimentalisme pour mes victimes."

Argh... ça ne m’empêchait pas de penser encore à elle... elle était si belle.  

"Cesse de t’apitoyer... tu étais censé aller chez le dentiste et regarde où ça nous mène.  J’ai bien peur que nous n’atteignions jamais son cabinet.

-Tu as raison... lui dis-je, allons soigner ces vilaines quenottes."

Plus tôt, sur le chemin qui menait chez le dentiste, je n’ai pu m’empêcher. Pourtant je n’aime pas ça, mais lui si. Barnabé ne pense qu’à mon bien. Il ne ferait jamais rien qui pourrait me nuire.

Anaïs lui ressemblait tellement... cette mère, si on peu l’appeler ainsi. Elle qui m’a jeté aux oubliettes comme on jetterais une vulgaire crotte de nez collée aux parois d’une narine et  chatouillant légèrement ses poils sensibles.  Après ça il ne me restait que l’armée. Je n’étais qu’un gamin pleurnichard en manque d’affection maternelle. Sot comme j’étais, j’ai cru trouver ce réconfort dans les bras de la mère patrie. Foutaise ! Elle m’a abandonné aussi.

Soudainement une odeur nauséabonde submergea mes narines et me tira de mes pensées. Mais qu’est ce c’est ? Un cadavre ?  Ou plutôt plusieurs tant l’odeur était violente. Je n’avais pas complètement tort puisqu’au sol plusieurs dizaines de poissons de toutes sortes transbahutés par une barque et complètement désantripaillés gisaient. Effectivement sans nous en rendre compte et pris dans nos pensées, nous avions marché jusqu’à ce qui semblait être un fleuve. Ce fleuve était d’un vert douteux, il était entouré d’arbre nus et crasseux et de pêcheurs mal vêtue et aux têtes défigurées.  Mes yeux me brûlaient et les larmes qui en coulaient me piquaient le visage. Voilà ce qui explique les têtes défigurées. À leur place j’éviterais de pêcher dans ce fleuve  aux airs d’eau croupie. La couleur  assez spéciale, passe encore, mais les poissons éventrés  aux reflux nauséabonds et enfin les cimetières de canettes de bières flottant au  bord de l’eau dont les pêcheurs semblaient pleinement imbibés, c'étaient de trop. Cette scène était tellement peu ordinaire, même pour un assassin qui vient fraîchement d’assassiner comme moi, que l’écrivain en moi commença à s’exciter à l’idée de peindre aux mépris de sa propre santé cette drôle de scène, à l’aide de sa plume.

Barnabé et moi décidions alors d’aller nous asseoir sur un banc sur lequel la nature semblait avoir repris le dessus. Des feuilles poussaient sur les pieds jusqu’au dossier de celui ci .

Ici, je pouvais enfin laisser cours à mes rêveries en rédigant quelques lignes sur mon calepin .  Mon imagination rendait les pêcheurs élégants et héroïques. Ils étaient si braves presque à la manière du pêcheur de Moby Dick.  Barnabé, lui, était tout aussi excité que moi si ce n’est plus, tapi dans le feuillage humide qui avait assailli notre banc.

Tout en jetant des traits d’encre, je me demandais si elle pourrait comme ma mère revenir à la vie. ..

 

Océane Ahmed, Aurélie Charles-François

(L1, Lettres modernes, UPEM)

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Mis en ligne le 9 novembre 2016

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