Les Rocambolesques
roman-feuilleton collectif arborescent à contraintes
-Y a quelqu’un ? demandai-je.
-C’est fermé ! s’exclama le corbeau.
-Mais il n’est que quinze heures ! repris-je. Et la jeune fille qui vient de sortir…
-C’est fermé vous dis-je, répondit-il impatiemment.
-C’est juste pour un petit renseignement, insistai-je, s’il vous plaît, c’est important. Il ne me faudra que cinq minutes…
-Vous êtes sourd ? coassa-t-il.
-Arrêtez ce petit jeu et ramenez votre grand bec par ici ! lançai-je agacé. (Le corbeau vint.) Je viens de ramasser ce jouet dans une poubelle. La jeune fille qui vient de sortir l’y a jeté d’un air effrayé. Il y avait aussi cette note.
-Rendez-moi ça, s’écria-t-il, ça ne vous regarde pas !
-Baissez d’un ton ou j’appelle la volière !
-Oh non, pas la volière ! supplia le corbeau effrayé. (Il reprit un ton calme.) Très bien, je vais vous expliquer, après tout c’est pas très important. La jeune fille que vous avez vue sortir est la plus fidèle cliente de ce magasin de chapeaux jaunes. Le nombre inscrit sur le papier est le nombre de chapeaux qu’elle m’a achetés et le jouet est le cadeau qui récompense sa fidélité ! Fallait-il faire un drame pour ça ? Vous les humains ne savez faire que ça : des drames, des drames, et encore des drames ! Maintenant que vous savez tout sur mon offre de fidélité, soit vous m’achetez un chapeau, soit vous partez sur-le-champ. Ah et, en parlant de champ, ici on ne paye qu’en céréales ou en charognes.
-361 chapeaux ? m’interrogeai-je. Je me fiche de vos chapeaux, je sais que vous me mentez. Ce chiffre est totalement invraisemblable ! Je veux la vérité, maintenant.
-Mais c’est la véri...
-Non ! l’interrompis-je, je ne suis pas si naïf. Vous ne me ferez pas avaler ça ! Tu veux vraiment que j’appelle la volière, sale piaf !?
-Et toi, tu veux que j’appelle la SPA pour harcèlement moral sur animal sans défense ? s’écria le corbeau.
-Je pourrais leur expliquer que tu pratiques illégalement le commerce de charognes, répondis-je calmement.
-Très bien, fit-il de manière désinvolte. Au cas où vous ne l’auriez pas vu inscrit sur l’entrée, je fais office de relai colis. C’était simplement son colis. Voilà, vous êtes content petit fouineur ? Sortez maintenant.
-Je ne te crois pas, lui dis-je. Si c’était vrai, tu ne te serais pas énervé à ce point, à moins d’être fou.
-Alors je suis fou, dit-il en riant.
-Bon et bien laisses-moi le temps de composer le numéro de la volière, menaçai-je, les animaux fous, ça ne doit pas rester en liberté.
-D’accord, soupira le vendeur. Vous avez gagné. Mais quand je vous aurai tout dit, laissez-nous tranquille. La jeune fille est en réalité ma fille. Ce jouet est un cadeau de sa mère, récemment réapparue alors qu’elle était décédée peu après l’accouchement. Évidemment, elle ne le sait pas encore.
-Décédée ? Réapparue ? demandai-je stupéfait.
-Réapparue, dit-il, du jour au lendemain.
-Et ce nombre, 361, que signifie-t-il ? repris-je.
-Je vous en ai déjà beaucoup trop dit ! s’énerva l’oiseau. Qui êtes-vous pour me poser autant de questions ?
-Peu importe qui je suis, je ne lui veux aucun mal, dis-moi seulement où je peux la retrouver ! suppliai-je.
-Non monsieur, répondit-il, je ne vous connais pas et ne mettrai pas ma fille en danger !
-J’appelle la volière, rétorquai-je sèchement, tu l’auras voulu.
-RROK RROK RROK, piailla le corbeau dans la boutique en volant, RROK RRRRROK !
-Papa, calme-toi ! cria une voix. Arrête de voler dans toute la boutique, tu fais peur au client ! Rrok rrok ! Rrok !
-Ah, te voilà ma puce, fit le corbeau en se posant. Ce monsieur en a après toi ! Rrok ! Rrok rrok rrok.
-Ouais je m’en fous, j’ai perdu le numéro de ta commande de vers de terre, répondit-elle.
-Ce n’est pas grave, dit le vendeur à sa fille. Rrrrok rrok.
-Que puis-je pour vous ? demanda-t-elle en se tournant vers moi.
-Anaïs ? lui dis-je. Anaïs ! Je…
-Toi ? s’étonna-t-elle. Laisse-moi tranquille espèce de psychopathe ! Je t’ai vu me suivre depuis ce matin ! Je croyais que tu avais changé, mais pas du tout ! RROOOOK RRRRROK RROK !
-Arrêtez de voler ! criai-je en m’agenouillant effrayé, arrêtez, vous êtes fous !
Meryem Akgun, A. H.
(UPEM, L1 Lettres Modernes, TD1)
Mis en ligne le 26 novembre 2016.